En 1984, Ken Webster vivait avec sa petite amie Debbie, à Meadow Cottage, une petite maison du village de Dodleston, à côté de la ville de Chester, dans le Royaume-Uni. A l'époque, le couple partageait la bâtisse de deux étages avec Nicola, une amie d'université de Ken, et son chat. Leur vie était alors heureuse et plutôt insouciante; ils ne savaient pas encore que leur quotidien allait être bouleversé par une série de phénomènes étranges.
Tout commença à l'automne de cette même année, quand la cuisine de la maisonnette devint le théâtre d'une série de phénomènes poltergeist. C'est Nicola qui fut témoin du premier incident. Elle remarqua, en haut du mur qui séparait la cuisine de la salle de bains, des traces semblables à des traces de pas. «Quelqu'un a marché là-haut?» demanda-t-elle amusée à la cantonade. Ken s'approcha à son tour et constata: «C'est vrai que ça ressemble â des empreintes de pied», répondit-il.
Autant par jeu que par conviction, ils comparèrent les semelles des chaussures de tous les occupants de la maison avec les empreintes du plafond, chacun espérant confondre le farceur. Mais comme aucun dessin ne correspondait aux empreintes, ils prirent le parti d'en rire, supposant qu'elles avaient été faites par un occupant antérieur. La maison étant en cours de rénovation, les traces furent rapidement recouvertes de peinture. Mais le lendemain matin, Ken fut stupéfait de découvrir une nouvelle série d'empreintes provenant visiblement de la même paire de chaussures, mais orientées différemment. Il décida de repasser immédiatement une nouvelle couche de peinture sur les traces du tenace promeneur. Après cette seconde couche, les empreintes ne réapparurent pas, mais l'incident avait suffi à effrayer Ken, Debbie et Nicola. Ils évitèrent dès lors de descendre seuls pendant la nuit.
Quelques jours plus tard, d'autres incidents inexplicables se produisirent. Ils retrouvèrent par exemple une dizaine de boites d'aliments pour chat soigneusement empilées en forme de pyramide. Une autre fois, ce furent deux bouteilles de limonade, un paquet de croquettes pour chat et plusieurs rouleaux de papier absorbant qu'on retrouva réunis en un équilibre précaire.
Un compréhensible sentiment de malaise commença à envahir la maison et ses occupants. Habituellement laxistes et peu habitués à se barricader, ils prirent l'habitude de garder les fenêtres fermées et de vérifier soigneusement tous les verrous avant d'aller se coucher. Peut-être pour se rassurer, ils s'efforçaient de se persuader que quelqu'un s'amusait à leur jouer un mauvais tour.
Quelques jours plus tard, pour finir un travail en cours, Ken revint à la maison avec un ordinateur qu'il avait emprunté à l'école où il enseignait. Le soir, Debbie et Nicola proposèrent à brûle-pourpoint de sortir pour boire un verre. Ken, enthousiaste, emboîta le pas aux deux femmes en laissant l'ordinateur allumé dans la cuisine. A leur retour, lorsqu'il se remit au travail, le professeur s'aperçut que l'écran affichait un nouveau fichier qui n'était pas là auparavant. Intrigué, il l'ouvrit et un poème écrit avec des majuscules insérées de façon aléatoire apparut:
«Ken Deb nIc,
Les CAUCHEmars DE qUelqu'un qui a PEUr sont Réels les CORPS Du Monde dU Silence Sont En sécurité.»
Le reste du poème était de la même veine sibylline et vaguement menaçante. Ken sentit un frisson d'angoisse lui parcourir l'échine. D'où pouvait bien venir ce message? Comme il le fit remarquer plus tard: «L'ordinateur était un BBC modèle B de 1984. Il n'y avait pas encore de réseau, de modem, et encore moins d'Internet.» Le trio décida d'attribuer le poème à un ami qui leur aurait joué un tour.
Après que l'ordinateur fut rendu à l'école, les phénomènes de poltergeist reprirent de plus belle dans la maison. Ses occupants trouvaient de temps en temps des objets empilés les uns sur les autres et remarquèrent même des signes tracés à la craie sur le mur en briques de la cuisine. Ken dut emprunter à nouveau un ordinateur en février 1985 pour terminer sa thèse. Un soir, alors qu'ils avaient décidé d'aller au cinéma, Ken ne put résister à la tentation de laisser l'ordinateur allumé pendant leur absence. Son attente ne fut pas déçue: à leur retour, l'écran affichait un nouveau message.
Cette fois-ci, le message était formulé en anglais archaïque. C'est en style élisabéthain du XVI siècle qu'il évoquait la vie de Ken et Debbie à Meadow Cottage. Il était notamment écrit: « Les travaux ont été quelque peu perturbants car elles m'ont souvent dérangé dans mon sommeil. Vous êtes néanmoins un homme de valeur vivant avec une femme fantasque, mais vous vivez dans MA maison... » Comme le fit remarquer Peter Trinder, professeur d'ancien anglais et collègue de Ken Webster, le message était littérairement correct mais le ton général était manifestement menaçant. Le trio estima que la «plaisanterie» commençait à mal tourner.
Ken et les deux femmes décidèrent alors de vérifier une fois pour toutes s'il s'agissait d'un canular. Le professeur emprunta donc une nouvelle fois l'ordinateur de son université avec la ferme intention de confondre le plaisantin. Après avoir vérifié qu'il n'y avait rien de chargé sur le disque dur et que toutes les issues de la maison étaient closes, ils sortirent en laissant l'ordinateur allumé dans la cuisine, comme les fois précédentes.
À leur retour, un nouveau message était à l'écran, dans le même style archaïque et excentrique. Après toutes les précautions qu'ils avaient prises, l'hypothèse du canular semblait donc définitivement tomber à l'eau. Admettant que les messages étaient peut-être authentiques, et sur le conseil d'un ami, Ken prit le parti d'y répondre. Il reçut à son tour une réponse et ce fut alors le début d'une correspondance sérieuse. Il apprit ainsi que le «fantôme» s'appelait Tomas Harden (quoiqu'il écrivît la plupart du temps sous le pseudonyme de Lukas Weinman). Il apprit aussi que Meadow Cottage était situé très exactement à l'emplacement de la ferme où Tomas avait vécu au XVi siècle. L'impalpable correspondant était un homme cultivé qui avait eu la chance d'étudier au Brasenose College d'Oxford. Passionné par les ouvrages de l'humaniste Erasme (1466-1536), il affirmait même l'avoir un peu connu. A la lecture de ces textes, Ken eut le sentiment, sans qu'il puisse le prouver, que son visiteur du passé gravait ses messages sur l'ordinateur par la pensée.
Visiblement bridé par le cadre étroit de l'écran informatique, Tomas laissa aussi son nom sur un mur et écrivit certains messages sur du papier. Il disait qu'il lui arrivait d'observer avec plaisir Ken et Debbie vivre au quotidien. C'était comme si les années 1980 et les années 1540 se télescopaient par instants en un point névralgique: l'ordinateur. Ken en vint même à avoir la conviction que ces messages ne provenaient pas d'un mort, mais qu'ils traversaient plutôt le temps comme si Thomas était bel et bien vivant, mais à une autre époque.
Pendant que Ken et Debbie maintenaient le contact avec leur visiteur invisible et intemporel, Peter Trinder se mit en devoir d'analyser le langage utilisé par Tomas. S'aidant du English Oxford Dictionary pour dater la formulation des phrases, il découvrit que les messages étaient très probablement de la période élisabéthaine.
Parallèlement aux communications émanant du passé, Ken reçut aussi tout à coup une série de messages mystérieux soi-disant en provenance de l'année 2109. Ces messages sibyllins étaient souvent menaçants. Les « correspondants «, qui disaient faire des expériences sur le temps, affirmaient avoir ouvert un « Plan Vertical» à travers les âges, qui avait permis à Tomas d'entrer en contact avec Ken. Mais les « correspondants » de 2109 restaient toujours dans le flou quand il s'agissait de décrire la nature exacte de leurs expériences. Ils se vantaient de leurs connaissances scientifiques supérieures, mais ne répondirent jamais directement aux questions.
Désirant se persuader à nouveau qu'il ne pouvait pas s'agir d'un canular, Ken contacta la SPR (Society for Psychical Research), fameux laboratoire de recherche en parapsychologie, pour qu'elle élucide le cas. Les chercheurs délégués sur place déclarèrent que les contacts avec des » correspondants » de l'an 2109 étaient vraiment surprenants.
Ils élaborèrent donc sur l'ordinateur trônant maintenant sur la table de la cuisine de Meadow Cottage, une série de questions à l'attention des mystérieux épistoliers. Ni Ken ni Debbie ne furent autorisés à voir ces questions. Un fichier unique arriva. Son contenu ne répondait pas aux questions directement mais sous-entendait qu'elles avaient bien été lues. Ceci avait au moins le mérite d'écarter définitivement la possibilité que Ken et Debbie soient les auteurs potentiels de la mystification: n'ayant pas vu les questions posées, ils ne pouvaient pas y faire allusion dans les réponses...
Vers le mois d'avril 1986, Tomas annonça via l'ordinateur qu'il allait interrompre la communication avec le XX siècle. Les gens de 2109 annoncèrent pratiquement au même moment qu'ils allaient également couper le contact,
leurs expériences sur le temps arrivant probablement à leur terme. Ces deux années de phénomènes poltergeist et de communications étranges laissèrent Ken et Debbie éreintés. Même s'ils s'étaient attachés à Tomas Harden, ils étaient contents que tout soit fini.
Que s'était-il donc passé? Malgré l'expérience des questions cachées, les enquêteurs de la SPR étaient officieusement persuadés qu'il s'agissait d'un canular, mais ne produisirent jamais de rapport officiel en ce sens. Quelque temps plus tard, la BBC présenta l'affaire dans l'émission Out of this World, diffusée au cours de l'été 1996. Au cours du reportage, un des journalistes demanda à Laura Wright, une linguiste du Lucy Cavendish College de Cambridge, de faire une comparaison linguistique, sémiologique et stylistique des textes de Tomas Harden et de ceux de Ken Webster. La spécialiste accepta de se prêter au test et sélectionna des extraits tirés du livre de Ken Webster qui relate son expérience, The Vertical Plane (Le Plan vertical, paru en 1989) pour les comparer.
Les conclusions de Laura révélèrent des similitudes entre les deux écrits; ce qui pouvait laisser entendre qu'ils avaient été rédigés par une seule et même personne, à savoir Ken Webster. Mais l'interview fut amputée de la fin de l'analyse de la linguiste où elle affirmait qu'on ne pouvait néanmoins tirer aucune conclusion définitive de son analyse extrêmement sommaire.
Il s'est vraiment passé quelque chose de bizarre à Meadow Cottage. Les nombreux témoins qui ont assisté à la fois à la correspondance par ordinateur et aux phénomènes poltergeist en sont en tout cas convaincus. Reste à savoir où a bien pu partir Tomas Harden et s'il reviendra un jour.
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