mardi 3 février 2015

Mystères sanglants de l'ordre du temple solaire

Le documentaire télévisé réalisé par Yves Boisset a levé un coin du voile sur la tragédie de l’OTS. De nouvelles preuves discréditent totalement la version du « suicide collectif » et suggèrent une manipulation délibérée de l’opinion publique.

[CITATION] « Je le vois davantage comme un meurtre collectif. Je rejette formellement la thèse du suicide collectif décidé par tous – cette idée est du pur cinéma. » – déclare Bernard Geiger, Commissaire de police, canton du Valais (Suisse), ayant participé à l’enquête sur la mort des membres du Temple Solaire

La tragédie du Temple Solaire fait à nouveau parler d’elle. Le cinéaste Yves Boisset a en effet réalisé un documentaire télévisé très troublant, Les mystères sanglants de l’OTS, qui a été diffusé fin janvier en Suisse, puis le 2 février sur France 2. A l’inverse de ce que l’on aurait pu attendre, l’enquête minutieuse d’Yves Boisset invite le téléspectateur à remettre en cause la version du suicide collectif. Le cinéaste n’affirme pas. Il n’a pas de thèse à défendre. Mais en reprenant les faits, en recueillant de nombreux témoignages, en interrogeant les policiers, les juges, les journalistes qui se sont occupés de cette affaire aussi bien en Europe qu’au Canada, il met en pièces la version officielle qui s’assimilerait plutôt à une tentative de manipulation de l’opinion publique.

Sans prétendre pouvoir dévoiler toutes les ramifications de l’histoire de l’OTS, Yves Boisset a su poser les questions dérangeantes. En présentant le déroulement des événements de façon claire, il a mis en évidence les lacunes et les failles des différentes enquêtes qui finissent par donner à ce drame l’allure d’une affaire d’Etat, bien éloignée du mythe officiel du « suicide collectif ». Et le téléspectateur s’interroge : pourquoi ce mythe ? A qui profite-t-il ?

REALITE ET FICTION

La chronologie de ces événements tragiques a été racontée maintes fois.
Le 30 septembre 1994, cinq cadavres carbonisés étaient retirés d’un chalet détruit par le feu à Morin Heights, dans la province canadienne du Québec. Les corps étaient criblés de coups de couteau. Ils étaient tous membres de l’Ordre du Temple Solaire (OTS), une société secrète fondée par le Français Joseph di Mambro, féru d’ésotérisme … et proche du tristement célèbre Service d’action Civique (SAC).
Cinq jours plus tard, près du village suisse de Cherey, une ferme à flanc de coteau était réduite en cendres. Dans les ruines, les sauveteurs découvraient les restes carbonisés de 23 personnes, qui avaient été droguées et exécutées d’une balle dans la tête. Cette même nuit, dans la région du Valais, à Salvan, trois maisons étaient consumées par les flammes. À l’intérieur, on retrouvera 25 corps : les victimes avaient été droguées, empoisonnées ou étranglées. Toutes les personnes tuées cette nuit-là étaient membres de l’OTS.
L’année suivante, les corps carbonisés de 16 membres de l’OTS sont découverts dans une clairière reculée du Vercors. Et finalement, en mars 1997, cinq autres membres de l’OTS seront découverts, morts, à Saint Casimir près de Montréal.
D’où le fil conducteur annoncé dans le documentaire : « On peut légitimement s’interroger : 74 morts, pour la plupart assassinés et pas de coupables. Comment la police et la justice françaises, réputées comme parmi les meilleures du monde, ont-elles pu en arriver là ? »
Après les premiers morts de 1994, les autorités canadiennes et suisses avaient rapidement mis fin à leurs enquêtes, puisque les dirigeants de l’OTS faisaient partie des victimes. Le Ministère français de la justice, quant à lui, a poursuivi une interminable instruction sur le drame du Vercors, pour aboutir finalement à la comparution de l’un des co-fondateurs de l’OTS, le chef d’orchestre Michel Tabachnik, devant le tribunal correctionnel de Grenoble pour « participation à une association de malfaiteurs ». Mais M. Tabachnik a été relaxé en 2001, au bénéfice du doute. Les parties civiles et le parquet ayant fait appel, le procès en appel, maintes fois reporté, devrait avoir lieu en octobre 2006.
Les médias de l’époque, eux, ne se sont guère interrogés, mais ont unanimement repris la thèse officielle en parlant de « suicide collectif », canalisant ainsi l’émotion légitime soulevée par la tragédie et imprégnant la mémoire collective d’images choc qui allaient durablement marquer les esprits.
« La majorité des gens pense qu’il s’agit d’une bande de cinglés qui se sont éliminés eux-mêmes », écrit Joseph Harriss du Reader’s Digest. « Mais la plupart ont été froidement et méthodiquement assassinés. Et personne n’a pu expliquer pourquoi ils étaient morts… [Ce] dossier est considéré comme l’une des affaires criminelles les plus mystérieuses de ces dernières années. »
« Cela fait penser à une élimination systématique », déclare le professeur Anson Shupe, sociologue spécialisé dans l’étude des mouvements religieux. « Je ne crois pas qu’on puisse qualifier cela de rituel ésotérique. Je pense que c’était tout simplement un règlement de comptes. »

DES PREUVES IGNOREES

Très rapidement, des éléments sont apparus, qui contredisaient le scénario présenté par les médias.
« J’aimerais qu’on m’explique », déclare le journaliste français Maurice Fusier, « pourquoi le juge d’instruction du canton de Fribourg a fait détruire par le feu, 48 heures après la découverte du sanctuaire de Cheiry, toutes les pièces à conviction, devant les caméras de télévision. »
Jacques Saint-Pierre, un ancien de la Sûreté du Québec, explique que ses policiers envoyés en Suisse pour enquêter ont été menacés d’expulsion par le juge, alors qu’ils se contentaient d’attirer l’attention sur des pièces à conviction qu’il aurait peut-être été important de récupérer !
Pour Henri Pechot, frère d’une des victimes : « Les autorités suisses souhaitaient accréditer l’idée d’un suicide collectif, c’était clair. On peut dire que l’enquête suisse a été bâclée. » Les pompiers, par exemple, en arrivant aux chalets en feu, ont constaté que portes et volets avaient été cloués de l’extérieur …
Deux journalistes français, qui se sont rendu sur les lieux de la tragédie suisse un an après, ont trouvé dans les décombres de Salvan des preuves négligées par les enquêteurs (fioles de médicaments, cassettes enregistrées dans une enveloppe). Des preuves, font-ils remarquer avec une certaine ironie, qui « auraient pu intéresser la justice et la police. »
Ces cassettes sont des enregistrements de conversations téléphoniques avec le chalet, enregistrements probablement effectués sur l’ordre de Di Mambro. L’une d’elles est particulièrement intéressante car on y entend certains membres de l’OTS parler d’essayer de récupérer l’argent investi. Albert Giacobino, propriétaire de la ferme de Cheiry, dit : « Il y a une assemblée pour entériner les comptes, qui représentent la dette que la ferme a envers moi…. Si ce n’est pas versé, j’arrête tout. »
Albert Giacobino est mort lui aussi, un peu à l’écart des autres, étouffé dans sa chambre.
« La mise sur écoute des téléphones du Temple Solaire révèle de sérieux doutes et un malaise croissant parmi les membres. Ils se posaient des questions sur les finances », rapporte Joseph Harriss.
Mais les questions les plus inquiétantes sont liées aux événements du Vercors.

ASSASSINATS COLLECTIFS

En mars 2004, les membres des familles des victimes de l’OTS, dont Jean Vuarnet et son fils Alain, ont porté de nouvelles preuves à la connaissance du juge d’instruction de Grenoble, demandant la réouverture de l’enquête sur les événements du Vercors.
Ils ont tout d’abord présenté la copie d’une lettre datée du 21 avril 1997, soit presque 1 an et demi après les assassinats du Vercors, envoyée par un cabinet juridique à une banque française, et donnant les détails d’un versement de 17 millions de francs répartis entre plusieurs partis politiques, ainsi que l’OTS et l’Ordre des Rosicruciens. D’après l’avocat de la famille Vuarnet, Maître Alain Leclerc, cette lettre prouverait que des personnes extérieures, liées aux massacres du Temple Solaire, tiraient les ficelles et transféraient encore des fonds.
Ils ont également fait état de faits troublants, ignorés ou négligés jusque-là, sur les morts du Vercors. Ainsi, les parents de l’une des victimes, voient dans le fait que leur fille avait la mâchoire cassée un élément irréfutable allant dans le sens de leur conviction. Pour eux, elle a été frappée alors qu’elle essayait de se protéger et de protéger son enfant, également retrouvé parmi les cadavres : « Je connais ma fille, » a déclaré sa mère au cours de l’émission, « elle ne voulait pas se suicider, pas du tout ! ».
Ou encore, comme le confirme le témoignage d’un expert privé en combustion, interviewé dans le documentaire d’Yves Boisset, un taux normalement élevé de phosphore a été retrouvé sur les corps.
« S’il y a du phosphore », dit-il, « c’est qu’un lance-flammes a été utilisé… Neuf corps sur 16 étaient tellement carbonisés que les os avaient fondu, ce qui indique une chaleur d’au moins 1600°C, alors qu’en forêt et en plein hiver, avec de l’essence et du bois, [un feu] ne va pas au-delà de 700°C. » L’expert conclut à l’utilisation probable d’un lance-flammes de type militaire.
Autre exemple, sur les lieux, les voitures abandonnées par les victimes avaient été nettoyées pour effacer toutes les empreintes digitales. Plusieurs véhicules étaient verrouillés mais deux clés n’ont pas été retrouvées, ni sur les corps, ni dans leurs effets, ni aux environs. Quelqu’un est donc parti, vivant, avec les clés.
« A partir du moment où des indices disparaissent, ce n’est pas la peine d’être Colombo pour le savoir, ça veut dire que quelqu’un les a fait disparaître. […], dit avec ironie Maître Gilbert Collard, avocat de la famille Pechot. « Malheureusement, ni vous ni moi ne pouvons faire le travail que les enquêteurs n’ont pas fait. »
Malgré le nombre et l’importance des nouveaux éléments apportés dans ce sinistre dossier, la justice a une fois encore rejeté la demande de réouverture de l’enquête.




BLANCHIMENT D’ARGENT ET TRAFIC D’ARMES

« Un juge d’instruction suisse a qualifié les mouvements d’argent [de l’OTS] de colossaux, écrit Joseph Harriss du Reader’s digest. D’innombrables sociétés et associations servaient de façade, aidant à masquer des mouvements de millions de dollars sur des dizaines de comptes bancaires dans plusieurs pays sur trois continents. Les affaires du Temple Solaire sont tellement complexes qu’un rapport d’enquête secret suisse appelé Helios, obtenu par le Reader’s Digest, conclut qu’il nous est impossible de dire combien d’argent a transité par l’Ordre.’ »
La police montée canadienne confirme qu’au moment des premiers meurtres à Morin Heights, au Québec, une enquête était en cours sur une affaire de blanchiment d’argent au niveau de la branche canadienne du Temple Solaire. Simultanément, Radio Canada faisait état de preuves montrant que le groupe servait de couverture à des opérations de blanchiment d’argent et de trafic d’armes. Les armes transitaient par un homme de paille, par exemple un général d’un pays du tiers-monde, et se retrouvaient ensuite sur le marché noir. Selon Radio Canada, les profits générés par ces juteux trafics se trouvent en Australie et « la brigade financière [suisse] a demandé à une banque de Sydney de geler deux comptes qui contiendraient jusqu’à 186 millions de dollars. »
Interviewé lors de l’émission d’Yves Boisset sur France 2, Alain Vuarnet interroge : « … l’OTS est une sorte de grande lessiveuse pour blanchir de l’argent. Alors blanchiment d’argent pour faire quoi ? Blanchir quoi ? »
Selon Maître Alain Leclerc, son avocat : « Dès l’instant où l’on a une organisation criminelle qui fait du trafic d’argent, notamment de l’opération de blanchiment, on constate que dans les trois massacres au Canada, en Suisse et en France, les dix comptables de l’Ordre du Temple Solaire ont disparu. »

SERVICES SECRETS

L’histoire du Temple Solaire est jalonnée de nombreux indices qui laissent supposer une implication significative des services de renseignements.
Deux policiers, Jean Lardanchet, inspecteur de la PJ, et Patrick Rostan, de la police de l’air et des frontières, se trouvaient parmi les victimes du massacre du Vercors. En étaient-ils vraiment membres, ou étaient-ils en service commandé, en mission d’infiltration au sein de l’OTS? Il est hallucinant que deux policiers, membres avoués de l’OTS, aient poursuivi normalement leur carrière après les premiers massacres. Il est surtout extraordinaire que dans la clairière du Vercors l’un des deux policiers, Lardanchet, ait lui-même achevé quatorze des seize victimes avec son arme de service, comme le prouvent les rapports balistiques, avant de se « suicider ». Autre fait troublant, d’après son propre témoignage, l’ami et chauffeur occasionnel de Jean Lardanchet le déposait souvent au Ministère de l’Intérieur, rue des Saussaies…
Par ailleurs, lors de leurs interviews, Michel Tabachnik et le journaliste Maurice Fusier ont évoqué des preuves de connexions entre l’un des fondateurs de l’OTS, Joseph Di Mambro, et Charles Pasqua, ancien Ministre de l’Intérieur, soutien actif des « réseaux Foccart » et l’un des créateurs du notoire Service d’Action Civique (SAC).
Enfin, ne serait-ce pas la marque la plus nette de l’implication des services secrets que d’avoir réussi à imposer comme évidente, tous médias à l’appui, une thèse fabriquée de toutes pièces et qui résiste si mal au premier examen des faits, celle de « suicides collectifs » ? Pour cela, il fallait transformer la tragédie du Temple Solaire en « un problème purement sectaire » C’est à cette conclusion qu’est parvenu Alain Vuarnet, et il n’est pas le seul : « S’il y a eu crime, meurtre, c’était très certainement, je dirais… pour orienter l’opinion publique, la justice, les médias, la police vers une issue purement sectaire, afin d’éviter que l’on s’intéresse à justement ces magouilles financières. »
Le psychiatre Jean-Marie Abgrall, nommé en tant qu’expert dans l’enquête sur l’OTS, a tenu des propos bien étranges dans une déclaration au journal Nice Matin le 15 février 2003 : « C’est une vérité qui nous dépasse, qui va jusqu’au secret d’état. Je m’exprimerai un jour. Comme le juge, on a tous des versions officielles. Il y a une chape de plomb. Il y a trop d’enjeux, d’intérêts en jeu. »

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